Emprunter en Afrique de l’Ouest : pourquoi si cher ?

emprunt immobilier en Afrique

Cet article est proposé par:

ImmoLink

ImmoLink

OBSIAO (l’Observatoire Immobilier de l’Afrique de l’Ouest) pour ImmoLink

                         Un prêt immobilier à 20% : cauchemar ou réalité ?

Cauchemar de nos amis Français pour sûr, déjà « asphyxiés » par des taux quatre fois moindres. Réalité des investisseurs immobiliers africains, hélas…

Comment faire de l’immobilier dans ces conditions ?
En se passant du crédit parbleu ! Dans leur écrasante majorité, les opérations du continent sont financées sur fonds propres, et se réalisent souvent au fil de l’eau, selon l’épargne disponible.

Le problème demeure néanmoins !
L’inaccessibilité du crédit contribue fortement au déficit de logements, actuel et futur, de même qu’elle interdit au secteur de l’immobilier au sens large de libérer son plein potentiel en termes de valeur et d’emploi. Nombreux sont les investisseurs internationaux qui délaissent les marchés africains pour d’autres économies plus financiarisées dans lesquelles ils pourront profiter de l’effet levier de l’endettement.

Mais alors, une question nous taraude, pourquoi si cher ?
L’Obsiao vous explique tout.

      • Spoiler 1 : quand personne ne se fait confiance, l’argent est hors de prix.

    • Spoiler 2 : la marge de progression concerne le système hypothécaire (idée business)
     

    Les banques centrales ne font pas confiance aux États > taux directeurs

    Le taux directeur est celui auquel une banque centrale prête de l’argent aux banques commerciales qui en font la demande.

    La Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a annoncé début septembre 2023 la hausse de son taux directeur[1] de 3% à 3,25%, dans l’objectif de « lutter contre les tensions inflationnistes ». Contrairement à ce qui se passe en Occident, ces niveaux de pourcentages n’ont ici rien de nouveau. Historiquement, l’Afrique de l’Ouest n’a jamais bénéficié d’une période de taux nuls voir négatifs comme l’ont connu les pays de la zone euro de juin 2014 à juillet 2022, sous l’impulsion de la Banque Centrale Européenne (BCE).

    Depuis les indépendances, les taux directeurs élevés traduisent la défiance de la BCEAO à l’égard des gouvernements des États-membres de l’UEMOA[2], s’agissant notamment de leur capacité à maintenir leur stabilité économique intérieure et d’assurer leur propre équilibre budgétaire. Outre les risques de crises de gouvernance (coup d’état) et de troubles géopolitiques (terrorisme insurrectionnel, guerre civile…) les États ouest-africains se démarquent par leur solvabilité plus que relative[3]. En cause, des recettes fiscales modestes réparties sur une base étroite, dangereusement liées dans certains pays au cours des matières premières. D’importantes dépenses publiques matérialisent le déséquilibre, bien qu’elles soient indispensables pour accompagner la croissance démographique. Bien sûr, la parité fixe du franc CFA avec l’Euro est une autre raison de maintenir des taux élevés afin de limiter la création monétaire et contenir l’inflation de la zone Franc pour que la parité garde un sens.

    Cependant, malgré sa récente augmentation, le taux directeur de la BCEAO (3,25%) reste inférieur à celui pratiqué par la BCE (4,75%). En toute logique, les banques commerciales ouest-africaines devraient donc prêter de l’argent à un meilleur taux que les banques européennes, dans la mesure où elle l’achètent moins cher auprès de leur banque centrale.

    Pourtant, à prêt immobilier équivalent, le taux d’intérêt atteint globalement les 8% au Sénégal, 10% en Côte d’Ivoire ou encore 17% au Nigeria. À ces taux prohibitifs s’ajoutent des durées d’emprunt qui se comptent en dizaine de mois tout au plus, et des garanties exigées qui atteignent en moyenne le double du montant du prêt.[4]

    D’autres paramètres entrent en jeu…

    Les banques commerciales doivent compenser leurs charges > taux de marge bancaire

    Le taux de marge bancaire est le pourcentage que la banque ajoute au taux directeur afin de s’assurer un bénéfice.

    Mécaniquement, ce taux augmente en fonction des frais généraux que supporte la banque pour conduire ses activités. Or, les banques d’Afrique de l’Ouest peinent encore à trouver leur modèle de rentabilité. Développées selon l’archétype occidental de la « grosse agence en centre-ville », les banques africaines font face à des coûts élevés liés principalement à la faible numérisation de leurs services : lourds besoins en personnel pour effectuer des tâches sans valeur ajoutée, prix exorbitant du transport d’argent liquide… Ces charges importantes ne sont pas compensées par la rémunération des dépôts, qui reste faible, et ne concerne que les 20%[5] d’individus ayant franchi le cap de la bancarisation (devenant de ce fait traçables et imposables).

    Les banques commerciales ne font pas confiance au secteur privé > prime de risque

    La prime de risque est le pourcentage que la banque ajoute à nouveau au taux directeur (en plus du taux de marge bancaire) pour rémunérer le risque de ne pas être remboursée (défaillance de l’emprunteur).

    En Afrique, c’est ici que le bât blesse, en particulier s’agissant des particuliers et des PME, très représentés dans le secteur de l’immobilier. S’agissant des particuliers, les banques doivent composer avec le risque que l’emprunteur perde son emploi. Dans des économies où l’allocation chômage n’existe pas ou peu[6], la perte d’emploi augmente drastiquement le taux de défaillance. S’agissant des PME, un risque comparable tient à leur dépendance à un nombre souvent restreint de clients. Là encore, la banque redoute la perte d’un client clé.  Enfin, les banques commerciales se plaignent unanimement de l’absence d’un système de notation des emprunteurs. En Occident, les centrales de crédit tiennent des registres des prêts déjà contractés et de leurs éventuels défauts de paiement (liste noire). Le travail de ces centrales protège les banques contre les emprunteurs qui accumulent les mécomptes, et favorise la confiance envers les candidats rigoureux.

    Les banques commerciales ne souhaitent pas prêter à long terme > prime de longue durée

    La prime de longue durée rémunère l’accroissement du risque encouru par la banque en raison du temps d’indisponibilité des fonds.

    Ce surcoût concerne typiquement les prêt immobiliers, dont la durée de remboursement moyenne en France est supérieure à 20 ans. En Afrique de l’Ouest, la prime de longue durée est particulièrement lourde à cause du peu de dépôts à long terme dont bénéficient les banques, et qui conditionnent en partie le volume de prêt octroyé. En 2018, les dépôts à terme d’une durée inférieure ou égale à deux ans représentaient 77 % du total des dépôts. Le faible montant des dépôts à long terme traduit la méfiance des africains vis-à-vis des banques, notamment après la crise bancaire de la zone CFA dans les années 1990. L’épargne à long-terme seraient principalement placée à l’étranger, ou captée sur le continent par les fonds de pensions, dominants dans l’espace anglophone.

    Les banques commerciales n’acceptent pas ou peu les garanties hypothécaires

    Pour réduire le risque auquel elle s’expose en prêtant de l’argent, les banques exigent en règle générale une ou plusieurs garanties. L’une des garanties possible, et la plus courante en matière immobilière, est l’hypothèque. Elle permet à la banque de saisir le bien hypothéqué (souvent celui acheté grâce à l’emprunt) en cas de défaut de paiement, dans le but de le vendre pour rentrer dans ses frais.

    Les garanties hypothécaires sont sous-utilisées par les banques ouest-africaines, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’hypothèque est inséparable d’un système performant de publicité foncière, qui rend cette garantie opposable aux tiers (nouvel acquéreur en cas de vente du bien hypothéqué, autres créanciers de l’emprunteur en cas de saisie…). De tels systèmes font cruellement défaut en Afrique de l’Ouest, où la certitude foncière est encore un défi.

    Par ailleurs, une hypothèque n’est une sureté satisfaisante que si la banque est assurée de pouvoir rapidement et facilement saisir le bien. Or, les cadres judiciaires d’Afrique de l’Ouest compliquent grandement cette tâche de par leur inertie et leurs lacunes, incitant les banques à la retenue.

    Enfin, les banques commerciales de la sous-région admettent que la gestion des hypothèques ne correspond pas à leur cœur de métier, et qu’elles manquent du savoir-faire nécessaire pour estimer les biens immobiliers proposés en garantie et procéder à leur vente en cas de saisie. En particulier, l’estimation n’est pas facilitée par l’opacité qui règne souvent sur les prix de l’immobilier : rares sont les marchés locaux ou un prix au mètre carré de référence est établi et tenu à jour. À ce titre, il serait intéressant de voir l’émergence d’une plateforme d’estimation immobilière du type Meilleursagents.com sur le continent, qui permettrait notamment aux banques d’externaliser l’estimation des hypothèques qu’elles contractent, et toucherait en retour une commission sur les prêts qu’elle rend possible.

    Dans l’attente de cette innovation et de l’amélioration du contexte général, l’indisponibilité de cette garantie se retrouve dans les taux d’intérêt exorbitants proposés aux acquéreurs.

    Pour aller plus loin

        • Étude “Enhancing Financial Innovation and Access (EFInA)”, 2016

        • BCEAO, Conditions débitrice appliquées par les établissements de crédit de l’UMOA au titre du premier semestre 2023.

        • Étude “Réduire le coût élevé des taux d’intérêts du financement du logement en Afrique», Michael Fuchs, 2019

        • Communique de presse de la réunion ordinaire du Comité de Politique Monétaire de la BCEAO du 6 septembre 2023

      [1] Taux de facilité de prêt marginal

      [2] Sénégal, Guinée Bissau, Mali, Burkina Faso, Niger, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin

      [3] Les notes de crédit Standard & Poor’s du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Nigeria sont respectivement de B+/B, BB- et B-.

      [4] Étude “Enhancing Financial Innovation and Access (EFInA)”, 2016

      [5] Taux de bancarisation strict sur la zone UEMOA (rapport inclusion financière BCEAO – 2022)

      [6] En Côte d’Ivoire par exemple, l’indemnité chômage bénéficie uniquement aux victimes de licenciement économique, dans la limite de 122€ par mois pour les cadres et 76€ pour les employés.



      OBSIAO – L’Observatoire Immobilier d’Afrique de l’Ouest https://obsiao.com/

      Share on facebook
      Facebook
      Share on whatsapp
      WhatsApp
      Share on linkedin
      LinkedIn
      Share on email
      Email
      Share on print
      Print

      Laisser un commentaire

      Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

      Share on facebook
      Facebook
      Share on linkedin
      LinkedIn
      Share on whatsapp
      WhatsApp
      Share on email
      Email
      Share on print
      Print

      Laisser un commentaire

      Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

       

       / 

      Se connecter

      Envoyer un message

      Mes favoris